UNE NOUVELLE VOIE DE DÉVELOPPEMENT :‎ LE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ DE L'AUTOROUTE À PÉAGE AU SÉNÉGAL, 2003-2013‎ RÉSUMÉ Au début des années 2000, la circulation dans Dakar, capitale du Sénégal, était devenue insoutenable. Les infrastructures de la ville souffraient de l'explosion du nombre de véhicules qui, engendrant des embouteillages, asphyxiaient les axes principaux d'entrée et de sortie de la ville et freinaient la croissance économique de la région. Un projet d'autoroute, destiné à désengorger le réseau routier, avait été programmé plusieurs décennies auparavant, mais il avait été suspendu à cause de son coût élevé. Élu en 2000, le Président Abdoulaye Wade a cherché une nouvelle solution : le partenariat public-privé (PPP). Ce plan prévoyait qu'une entreprise privée assume une partie des coûts de construction de l'autoroute et de son entretien en contrepartie des recettes de péage d'une part et du financement du reste des coûts d'investissement par l'État d'autre part. La mise en œuvre de ce partenariat - le premier de ce type dans la région - n'était pas chose aisée. Ses promoteurs devaient non seulement identifier et résoudre les enjeux financiers et techniques complexes du partenariat, mais aussi trouver des solutions pour atténuer les conséquences sociales et environnementales du projet - au premier rang desquelles le déplacement de 30 000 personnes et commerces. L'Agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX), nouvellement créée, supervisait le processus de sélection de l'entreprise partenaire, les travaux de construction et la coordination de la mise en œuvre du projet avec des institutions diverses - parmi lesquelles des ministères sénégalais, des banques internationales de développement et des associations locales communautaires. Dès son ouverture en août 2013, l'autoroute à péage Dakar-Diamniadio a rencontré un succès plus important que prévu qui permit de désengorger le trafic de la capitale. Toutefois, les retards liés à la réinstallation des populations déplacées dans le cadre du projet ont entraîné des problèmes qui subsistent en 2016.‎ Maya Gainer, chercheuse à l'ISS, et Stefanie Chan, de l'École des affaires internationales de Sciences Po, ont préparé cette étude de cas à partir d'entretiens menés en janvier 2016 à Dakar (Sénégal) et Abidjan (Côte d'Ivoire). Cette étude de cas a été financée par l'Agence française de développement et publiée en mai 2016.‎ INTRODUCTION Le 1er août 2013, les feux verts de la gare de péage se sont mis à clignoter, annonçant l'ouverture des 32 km de l'autoroute Dakar-Diamniadio. Cette inauguration était saluée par l'ensemble des agences gouvernementales, entreprises et organismes internationaux de développement collaborant depuis plus de dix ans à ce premier partenariat public-privé (PPP) pour une autoroute à péage en Afrique subsaharienne, hormis l'Afrique du Sud. La directrice de l'agence gouvernementale à la tête du projet, Aminata Niane, dont le rôle a été déterminant, s'est souvenu de ce processus comme d'une « bataille de chaque jour ».‎ Située sur une péninsule au point le plus à l'ouest de l'Afrique, Dakar était particulièrement bien placée pour devenir le centre névralgique des échanges économiques et commerciaux de la région. Au début des années 2000, la capitale en pleine expansion peinait néanmoins à adapter son réseau routier à des besoins croissants. En dix ans, la population de la région de Dakar avait augmenté de plus de 40 %, atteignant 2,43 millions d'habitants en 20051. Quant au nombre de véhicules, il avait plus que doublé, passant de 40 000 en 1997 à 98 000 en 20072. Les embouteillages devenant la règle, il fallait compter en moyenne 90 minutes pour parcourir les 30 km qui séparent la ville de Diamniadio du quartier des affaires du centre de Dakar3. ‎ Non seulement ces difficultés liées au transport des biens et des personnes depuis Dakar vers le reste du pays et, plus largement vers l'Afrique de l'Ouest, exaspéraient les automobilistes, mais elles affectaient également les entreprises de la région, décourageaient les investisseurs et pesaient sur l'économie nationale. Selon une étude de la Banque mondiale publiée en 2008, les problèmes de circulation à Dakar représentaient un coût annuel d'au moins 42 milliards de francs CFA au pays (environ 86 millions USD de l'époque), soit 0,64 % de son PIB en 20084. D'après l'APIX, les pertes étaient deux fois plus importantes, portant leur montant à 100 milliards de francs CFA par an5.‎ Bordée par l'océan Atlantique sur ses trois côtes, Dakar a connu une expansion géographique limitée qui a engendré une pénurie annuelle de 200 000 logements6 environ, conjuguée à une envolée des prix des terrains. Les embouteillages, qui accentuaient la pression sur les prix des terrains et des logements, ont en outre contribué à aggraver la pollution atmosphérique. En 2005, la concentration de particules PM10 à Dakar était plus de deux fois supérieure à la limite maximale recommandée par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)7. Par ailleurs, les difficultés des déplacements entre Dakar et le reste du pays ont exacerbé les inégalités régionales du Sénégal. En 2009, la capitale abritait 25 % de la population du pays et 80 % de son économie formelle, alors qu'elle ne représente que 0,3 % de sa superficie8. ‎ Dès 1978, le gouvernement sénégalais avait conduit des études sur un projet d'autoroute destiné à décongestionner la route nationale existante, principal axe d'entrée et de sortie de la ville. Cependant, le gouvernement avait par la suite recentré ses ressources limitées sur des besoins sociaux urgents, tels que l'éducation et la santé, abandonnant ainsi le projet d'autoroute.‎ Avec l'élection du Président Abdoulaye Wade en 2000, l'amélioration des infrastructures est revenue au cœur du programme gouvernemental. La construction d'une nouvelle autoroute et d'un nouvel aéroport constituait un élément prioritaire de ses promesses de campagne. Abdoulaye Wade, qui soulignait la nécessité d'attirer les investissements privés, était parfaitement conscient de la réticence des investisseurs à miser sur le Sénégal tant que le pays ne disposerait pas des infrastructures appropriées pour soutenir leurs activités. En juillet 2000, trois mois après son élection, Abdoulaye Wade a créé l'Agence nationale pour la Promotion des investissements et des grands travaux (APIX) à la tête de laquelle il a nommé Aminata Niane, conseillère du gouvernement et des bailleurs de fonds pour le développement du secteur privé depuis des années. L'agence était placée sous l'autorité directe du Président.‎ L'une des premières missions d'Aminata Niane était la construction, envisagée de longue date, de l'autoroute qui relierait Dakar à Diamniadio, la future zone économique spéciale située à 32 km de la capitale. ‎ ‎ « Le Président Wade m'a expliqué qu'il voulait une autoroute à péage dans les meilleurs délais et financée par le secteur privé », a-t-elle dit. S'intéressant depuis longtemps aux partenariats public-privé, le Président souhaitait que le projet soit financé via un contrat de construction-exploitation-transfert (CET). Dans ce cadre, une entreprise privée contribuerait au financement de la construction de l'autoroute et de son entretien pendant un nombre d'années à déterminer, et bénéficierait, en contrepartie, des revenus du péage. ‎ Ni le Sénégal ni aucun autre pays d'Afrique de l'Ouest n'avaient encore recouru à ce type de partenariat pour construire une route. Aminata Niane et l'équipe de l'APIX allaient devoir trouver des solutions innovantes. ‎ LE DEFI Il incombait à Niane et son équipe de concevoir, de mettre en œuvre et de gérer un partenariat effectif avec une entreprise privée tout en intégrant les dimensions sociales et environnementales indirectement liées aux travaux d'une part et en coordonnant de multiples parties prenantes aux priorités parfois divergentes d'autre part. ‎ La conception et la gestion du projet ont représenté un défi majeur pour l'APIX. Il s'agissait du premier partenariat de ce type dans la région et la nouvelle agence n'avait aucune expérience dans la gestion d'un tel projet. « À cette époque, le Sénégal ne disposait d'aucun cadre institutionnel, d'aucun cadre juridique », a dit Abdou Diaw, responsable du partenariat public-privé au sein de l'agence. « Le Président n'arrêtait pas de parler de CET [construction-exploitation-transfert], mais la majorité d'entre nous n'avait jamais entendu parler des PPPs [partenariats public-privé] ou des CET. » Pour assurer une coordination efficace des nombreux acteurs impliqués et superviser les activités de l'entreprise, l'APIX a dû développer ses capacités internes et embaucher une équipe extrêmement compétente en gestion de projet. ‎ La structure du partenariat devait être attractive pour les investisseurs privés - dont les objectifs se mesuraient en termes de recettes et de profit - tout en répondant aux objectifs du gouvernement, à savoir des coûts raisonnables, des tarifs abordables et une construction de qualité. La question du risque était une préoccupation centrale : comment répartir les responsabilités en matière de risques entre les secteurs public et privé ? Comment la structuration du projet allait-elle permettre d'atténuer ces risques ? ‎ Il était peu probable que les entreprises s'engagent sans l'assurance de percevoir des recettes suffisantes pour amortir leurs investissements initiaux dans la construction, couvrir les frais d'exploitation et d'entretien et réaliser des bénéfices raisonnables. Dans le même temps, le gouvernement sénégalais ne souhaitait pas autoriser des prix de péage susceptibles de rendre l'autoroute inaccessible au citoyen ordinaire, comme l'a expliqué Niane. Le gouvernement cherchait également à minimiser sa part d'investissement tout en s'assurant que l'entreprise partenaire délivrerait un travail de qualité dans les délais impartis.‎ L'APIX devait également mettre en place des stratégies de prévention de la corruption, un problème commun aux projets de travaux publics à travers le monde. En effet, le secteur des travaux publics apparaît comme le secteur le plus exposé à la corruption9 selon l'Indice de corruption des pays exportateurs de Transparency International. Toute collusion dans le processus d'appel d'offres est de nature à aboutir à la sélection d'un entrepreneur incompétent ou à un gonflement des coûts. Lors de la phase de construction, les entreprises sélectionnées pourraient en outre rogner sur les coûts de construction et percevoir la différence. ‎ Le recours à un partenariat de type CET permet de réduire les risques de corruption puisque l'entreprise en charge de la construction de l'autoroute est également responsable de son entretien pendant toute la durée de la concession. « Le concessionnaire n'a aucun intérêt à lésiner sur la qualité, a expliqué Aminata Niane. « S'il [utilise] moins de béton et que l'autoroute se dégrade, il lui faudra réinvestir ». Elle a ajouté toutefois que « l'ombre de la corruption planait sur ces grands projets » et qu'il était essentiel de mener un processus d'appel d'offres à la fois juste et transparent et de mettre en place des mécanismes de supervision efficaces pendant la phase de construction. ‎ En qualité de représentante du gouvernement sénégalais, l'APIX avait pour mission de coordonner les différents groupes et institutions impliqués dans ce projet commun. Outre l'entreprise concessionnaire et des instances gouvernementales - telles que les ministères des Finances et des Infrastructures - le projet impliquait le concours des banques de développement ainsi que celui des autorités et des associations communautaires. La mission de l'APIX était de faciliter la communication entre les participants et de résoudre les problèmes inopinés. ‎ Par ailleurs, le projet a soulevé d'importants enjeux sociaux et environnementaux. En effet, quelle que soit l'option choisie, la future route devait traverser des zones urbaines densément peuplées, nécessitant le déplacement de milliers d'habitations et de commerces. (Au final, l'autoroute a eu une incidence pour environ 30 000 personnes). « La partie la plus délicate du projet a été la phase de relocalisation, car il ne s'agissait plus d'un projet financier ou technique, mais d'un projet social », a rappelé Aminata Niane. L'indemnisation et la réinstallation effectives des populations déplacées dans le cadre d'un projet d'infrastructure étaient des problèmes partout dans le monde. Le gouvernement sénégalais ainsi que les bailleurs de fonds internationaux tenaient à ce que les personnes concernées soient traitées de façon juste. ‎ En outre, un des tracés envisagés passait par la forêt de Mbao, l'un des rares espaces naturels préservés autour de Dakar. Cette forêt de 630 hectares, constituée en grande partie d'anciennes plantations de noix de cajou, était parfois appelée le poumon vert de Dakar. Elle offrait des moyens de subsistance aux communautés locales qui l'utilisaient pour les pâturages et l'horticulture10. La forêt était menacée par l'urbanisation de la région de Dakar depuis plusieurs années. Dans ce contexte, l'APIX et les autres agences allaient devoir trouver des solutions pour atténuer l'impact environnemental de ce tracé. ‎ Enfin, l'APIX devait s'assurer que le projet était soutenu au sein même du gouvernement. Comme l'a expliqué Abdou Diaw, l'idée d'un partenariat avec le secteur privé pour construire une autoroute était nouvelle pour les fonctionnaires, ce à tous les échelons de l'administration. Aussi était-il difficile d'obtenir leur appui. L'APIX devait les amener à « percevoir la pertinence et l'intérêt d'un tel mécanisme [...], qu'ils ne connaissaient pas et dont ils ignoraient le processus », a-t-il dit. ‎ ‎ « De nombreuses personnes craignaient que la construction de cette autoroute suscite des oppositions et des manifestations », a raconté Aminata Niane. Les partisans du projet devaient convaincre les autres fonctionnaires de soutenir le projet pendant toutes les années d'études préparatoires, de négociations contractuelles et au cours de la phase de construction. ‎ ELABORER UNE RÉPONSE Avant d'aller plus loin dans la préparation du partenariat, Aminata Niane a précisé qu'elle devait déterminer « s'il était rentable pour le secteur privé d'intégrer le projet et quelles étaient les conditions susceptibles d'intéresser les investisseurs privés. » Grâce au financement de la Banque mondiale, l'APIX a commandé des études sur les critères qui permettraient de définir la structure financière de la concession. ‎ En 2003, l'APIX a fait appel à Setec International, une société française d'ingénierie, pour évaluer le nombre de véhicules susceptibles d'emprunter l'autoroute en fonction des différents tarifs de péage. L'exactitude des prévisions, un élément essentiel de l'évaluation les flux de revenus, devait aussi permettre de prendre des décisions pragmatiques telles que celle du nombre de voies. Selon l'étude de Setec et à la lumière des tarifs retenus, environ 33 000 véhicules circuleraient quotidiennement sur le tronçon d'autoroute situé à l'est du quartier de Pikine, où l'entreprise privée allait démarrer les travaux11. ‎ Les tarifs de péage constituaient l'autre composante essentielle des calculs financiers du gouvernement. L'État voulait s'assurer que l'autoroute à péage, une première au Sénégal, serait une option viable pour le citoyen ordinaire. Des tarifs trop élevés ne permettraient pas aux citoyens d'emprunter l'autoroute. C'est pourquoi « le gouvernement cherchait à fixer un prix socialement acceptable », a expliqué Dominique Ndong, coordinateur général des grands projets à l'APIX. Celui-ci a ajouté que cette dimension d'accessibilité était d'autant plus importante que « pour les usagers, l'État devait s'occuper de tout, y compris de payer le péage. » En effet, Ndong a précisé que les citoyens sénégalais n'avaient pas l'habitude de devoir payer pour les services publics.‎ Setec a mené diverses enquêtes pour déterminer le montant maximum que les usagers étaient prêts à payer pour emprunter une route à péage. Au terme de ces enquêtes, conjuguées à des estimations du coût de la vie, l'APIX a défini des plafonds - 1 275 francs CFA (environ 2,55 USD de 2009) pour un véhicule léger sur la totalité du parcours, à titre d'exemple.12 ‎ La création d'un cadre juridique Pour préparer le projet d'autoroute, le Sénégal a dû mettre en place des réglementations spécifiques aux partenariats public-privé. En mars 2004, le Parlement du Sénégal a adopté une loi autorisant le recours aux partenariats constructions-exploitations-transfert. La loi précisait également les modalités des procédures d'appel d'offres et les conditions requises pour de telles concessions, « inspirées des meilleures pratiques à travers le monde », a dit Diaw. L'équipe de l'APIX « s'est déplacée dans le monde entier pour comparer les expériences réussies en matière de PPP, principalement en Europe et en Amérique latine, puisque l'Afrique du Sud était alors le seul pays d'Afrique à avoir déjà expérimenté ce type de partenariat. » ‎ Une autre loi, adoptée le même jour, instituait le Conseil des infrastructures, une instance de surveillance chargée de superviser les procédures d'appel d'offres. Pour Niane, ce Conseil représentait « une innovation majeure », car il constituait un rempart contre la corruption. Le Conseil, composé de membres divers - dont des représentants de l'institution judiciaire, du Parlement, d'associations professionnelles et d'organisations de la société civile - délivrait des autorisations à chaque étape de l'appel d'offres dans le cadre d'un dispositif de contrôle des irrégularités. « Ils contrôlaient l'ensemble des documents soumis avant le lancement de l'appel d'offres, les dossiers d'appel d'offres, le contrat, et ils approuvaient la signature du contrat avant que nous l'apposions à notre tour. [...] Vérifiant chaque phase de l'appel d'offres et chaque étape avant la signature du contrat, ils laissaient très peu de place à la corruption », a-t-elle précisé. ‎ L'obligation, pour le Conseil, d'être aussi composé de représentants des principaux partis politiques garantissait une certaine pérennité au projet, a ajouté Diaw. Le fait d'inclure les partis d'opposition assurait en effet un soutien politique à long terme au projet : « si le régime devait changer, l'opposition ne pourrait pas affirmer qu'elle n'en avait pas eu connaissance ».‎ L'examen des différentes options En s'appuyant sur les prévisions de circulation et de coûts de construction, ainsi que sur les évaluations préliminaires des impacts sociaux et environnementaux, le gouvernement a retenu quatre options. Pour le directeur technique de l'APIX, Abdoulaye Thiam, chaque option présentait des compromis différents en matière de coûts, de déplacement de personnes et d'impacts environnementaux.‎ La responsabilité de la décision finale revenait au comité de pilotage de l'infrastructure nationale. Ce comité, chargé de superviser l'ensemble des grands projets d'infrastructure du Sénégal, regroupait des représentants de ministères clés - tels que les ministères des Finances, des Infrastructures et de l'Environnement. Niane s'est souvenu de débats âpres, notamment parce que « beaucoup redoutaient l'ampleur du déplacement [de personnes]. Ils proposaient alors des tracés alternatifs, mais tous présentaient d'autres inconvénients », y compris des coûts plus élevés ou des impacts environnementaux plus importants. Compte tenu de l'incapacité des membres du comité à dégager un accord, le Premier ministre a décidé d'intervenir. Le comité est parvenu à un consensus grâce à son implication et a opté finalement pour la route reliant Dakar à Diamniadio. ‎ D'après Thiam, le tracé choisi permettait de minimiser l'ampleur du déplacement des Sénégalais, au détriment toutefois de l'environnement. En traversant la forêt de Mbao, les zones les plus densément peuplées seraient épargnées par l'autoroute qui allait détruire une partie de la plus importante réserve naturelle de Dakar. Une autre option consistait à élargir la Route Nationale existante. L'APIX tenait néanmoins à conserver une option gratuite en complément de l'autoroute à péage, a expliqué Niane. En laissant aux automobilistes la possibilité de choisir, offrant ainsi une alternative à ceux qui trouvaient les tarifs trop élevés, l'APIX espérait faire accepter plus facilement le principe du péage. ‎ Une fois le tracé choisi, l'APIX a fait appel à une autre société, Buursink International, pour examiner de manière plus précise les externalités du projet. Au mois de mars 2006, Buursink produisit une évaluation sociale et environnementale globale, qui a mis en avant une série d'impacts, parmi lesquels les enjeux de pollution atmosphérique et les moyens de subsistance des habitants. La question de la réinstallation des populations déplacées était tout particulièrement importante : selon Moctar Thiam, alors chef de l'équipe opérationnelle de la Banque mondiale, le déplacement de 30 000 personnes correspondait davantage à un projet de barrage qu'à un projet routier.‎ En juillet 2005, alors que les études relatives à la composante public-privé de l'autoroute étaient en cours, la construction des douze premiers kilomètres - entre Malick Sy, au centre de Dakar, et le quartier de Pikine - a démarré sur la base d'une procédure nationale classique de passation des marchés. Compte tenu des phases de préparation et de négociation, « nous savions depuis le début que la mise en place du PPP prendrait un temps considérable », a affirmé Diaw. Le premier tronçon, trop urgent pour attendre les résultats des négociations, constituait aussi une occasion pour le gouvernement de démontrer son engagement. Toutefois, l'APIX prévoyait de placer le premier péage au septième kilomètre, à l'endroit où les automobilistes auraient le choix entre l'autoroute à péage et la Route Nationale gratuite. La concession définitive inclurait un péage sur cette section de l'autoroute.‎ Le développement d'un programme Même s'il était possible d'adapter la conception de l'autoroute pendant la phase de contractualisation, l'APIX devait développer des plans initiaux pour guider les entreprises soumissionnaires. En marge des spécifications techniques liées à la construction, l'APIX collaborait étroitement avec la Banque mondiale pour tenter d'atténuer les impacts sociaux et environnementaux de l'autoroute. ‎ S'agissant de la conception même de l'autoroute, l'APIX collaborait depuis 2006 avec Egis International, une société française d'ingénierie. À la lumière des prévisions de coûts et de circulation, « nous avons avec l'APIX développé des stratégies d'optimisation techniques et financières, afin de doter le Sénégal avec l'infrastructure d'un standard international, » a expliqué Jean-Pierre Rabaud, directeur de l'Egis au Sénégal. L'entreprise a également aidé l'APIX à développer des spécifications liées aux matériaux et aux normes de construction et d'entretien. ‎ Tandis que les plans de l'autoroute prenaient forme, la gestion du recasement devenait la principale préoccupation. Près de 3 000 familles allaient perdre leur maison à cause des travaux. Se basant sur une enquête relative aux préférences des habitants et aux politiques des bailleurs, l'équipe du projet a décidé de construire un site d'accueil pour les personnes déplacées situé approximativement à 15 km de Pikine. Selon Babacar Diouf, directeur de l'Environnement et de la Libération des emprises à l'APIX, les familles étaient libres d'utiliser leur indemnisation pour acheter ou louer un logement à l'endroit de leur convenance. Mais, l'objectif était toutefois de leur permettre d'emménager dans une zone qui offrirait davantage d'infrastructures et de services sociaux que les environs pauvres et informels de Pikine, où résidait la majeure partie de la population concernée par le déplacement. « Dans ce site d'accueil, » il a poursuivi, « les gens pouvaient obtenir des titres fonciers officiels et bénéficier de services d'infrastructure tels que des routes, l'éclairage public, l'eau courante, l'assainissement ainsi que des aménagements communautaires comme des écoles, une marché, une poste de santé, des sites religieuses - tout ce à quoi ils n'avaient pas accès [dans leurs anciennes communautés] ». Ses promoteurs espéraient qu'un nombre suffisant de personnes s'installerait sur ce site afin de créer une communauté dynamique et de consolider le développement de la région.‎ Il s'est avéré néanmoins difficile de trouver un terrain pour créer un site d'accueil. Le seul terrain disponible et suffisamment vaste pour accueillir jusqu'à 30 000 personnes était situé à seulement deux kilomètres de la décharge de Mbeubeuss, un dépotoir informel où sont entreposés les déchets de toute l'agglomération de Dakar. « Et voilà que soudain, le problème de la décharge devenait [également] notre problème », a fait observé Moctar Thiam. Inquiète de possibles risques ‎ sanitaires, la Banque mondiale a fait de la fermeture de la décharge de Mbeubeuss une condition préalable à l'ouverture du site d'accueil. ‎ La fermeture de la décharge impliquait la création, dans une autre zone, d'un centre de traitement des déchets performant. Alors que le gouvernement sénégalais avait sélectionné un site sur la commune de Sindia, au sud de Dakar, le processus de fermeture de Mbeubeuss n'était pas encore engagé. « La fermeture de la décharge aurait représenté une réelle avancée sociale » pour des raisons de santé publique, a dit Thiam qui s'est souvenu avoir pensé : « Si le projet d'autoroute nous donne les moyens de le faire, alors faisons-le. »‎ Outre la démolition des logements et commerces situés directement sur le tracé, la future autoroute allait couper en deux le quartier informel et densément peuplé de Pikine Irrégulier Sud. Afin d'atténuer les effets négatifs de ces changements pour les habitants du quartier et de faciliter leur acceptation du projet, l'APIX et la Banque mondiale ont décidé d'améliorer le système de drainage de cette zone inondable, de bâtir des écoles et de construire des centres de soins pour garantir à tous les habitants résidant de part et d'autre de l'autoroute un meilleur accès aux services sociaux.‎ Le projet a rapidement pris de l'ampleur, dépassant largement les prévisions de l'APIX, a dit Diaw. « C'était un peu comme si on disait : "Nous devrions peut-être ajouter cette composante pour réduire l'impact social sur tel quartier situé le long de l'autoroute... Très bien, mais qu'en est-il pour les personnes que nous allons déplacer ailleurs ? Ajoutons une autre composante pour leur construire des maisons. Et pour la décharge située à deux kilomètres du site d'accueil ? Nous devrions peut-être ajouter une autre composante. Et puisque nous traversons une forêt, nous devrions sûrement faire quelque chose - ajoutons-le au projet." » Les volets supplémentaires avaient chacun un objectif, a-t-il reconnu, mais l'ensemble de changements produisait un tout autre projet. ‎ ‎« Nous sommes partis d'un projet d'autoroute et nous nous sommes retrouvés avec un projet de planification urbaine. » ‎ SE METTRE AU TRAVAIL Alors que le projet d'autoroute prenait forme, l'APIX a mis sur pied une unité spéciale pour gérer le partenariat public-privé et toutes ses composantes : la Direction du Projet Autoroute. « Nous ne voulions que les meilleurs, pour créer une dream team », a dit Niane. Le financement de la Banque mondiale lui permettait justement de proposer des salaires suffisamment attractifs pour intéresser des ingénieurs, des sociologues et des spécialistes de l'environnement expérimentés. À mesure que le projet se développait, l'équipe grandissait. Pour compléter son équipe interne, l'APIX avait également recruté des consultants qui intervenaient en qualité de conseillers techniques, financiers et juridiques.‎ Une fois les études et la conception achevées, les membres de l'équipe de l'APIX savaient ce qu'ils voulaient construire. Pour préparer le dossier d'appel d'offres, il leur restait à déterminer comment les secteurs public et privé allaient collaborer dans le cadre de l'exécution du projet. En février 2007, un décret présidentiel a autorisé l'APIX à commencer à travailler sur les dossiers d'appel d'offres et le projet de contrat de concession, lesquels préciserait les rôles respectifs du gouvernement et du secteur privé au sein du projet. ‎ La structuration de la concession Les décisions clés concernaient la répartition des coûts et des risques entre les partenaires. « Tout est une question de prise de risque » dans la structure d'un partenariat, a affirmé Didier Payerne, directeur Développement Afrique chez Eiffage et directeur opérationnel SENAC - SENAC S.A. étant l'entreprise filiale créé par Eiffage, le soumissionnaire finalement retenu, pour financer, construire et exploiter l'autoroute.‎ Compte tenu des estimations du coût de construction et de la densité du trafic, les plafonds fixés par l'APIX pour les péages ne permettaient pas à un partenaire privé, quel qu'il soit, de générer des revenus suffisants pour couvrir l'ensemble des frais de construction. Contrairement aux attentes initiales, le gouvernement devrait cofinancer le projet afin qu'il soit rentable pour le partenaire privé. Niane a dit: « J'ai vécu un moment très difficile lorsque j'ai présenté ce modèle financier au Président, car, pour lui, l'autoroute aurait dû être financée à 100 % par le secteur privé. » Niane réussit à convaincre le Président Wade que le gouvernement allait devoir apporter une contribution financière. Toutefois, lorsqu'elle a exposée le projet au Président en présence de plusieurs ministres clés, « ils étaient très surpris de voir que la contribution de l'État serait plus importante que celle du secteur privé », a-t-elle poursuivi. Ils ont fini par donner leur accord après avoir compris le modèle. ‎ Le gouvernement avait plusieurs options pour financer sa participation. Comme l'a expliqué Diaw, une première option consistait à « garantir un certain montant de revenus [au concessionnaire] et, dans l'éventualité où ce montant ne serait pas atteint, verser une compensation. Toutefois, poursuit-il, le gouvernement n'a pas retenu cette option, car il préférait être en mesure de planifier annuellement ses dépenses. » Une autre option consistait pour le gouvernement à financer une partie des frais de construction. ‎ La différence essentielle entre ces deux options résidait dans la prise en charge du risque lié au trafic - c'est-à-dire qui, du secteur privé ou du secteur public, perdrait de l'argent en cas de revenus réels inférieurs aux prévisions. S'il garantissait au concessionnaire un certain niveau de revenus, le gouvernement assumerait le risque d'un trafic restreint, sa part de financement variant chaque année en fonction du nombre de véhicules utilisant l'autoroute. À l'inverse, si le gouvernement prenait en charge une plus grande partie des coûts de construction, les soumissionnaires verraient leurs coûts d'investissement réduits d'autant et seraient alors plus enclins à assumer les risques d'une circulation limitée. Lorsqu'elle avait présenté les différentes options au Président et aux ministres, le ministère chargé du budget s'était clairement exprimé en faveur de la prévisibilité d'un « investissement important initial avec le secteur privé, » a précisé Niane.‎ Lié au modèle construction-exploitation-transfert, l'APIX a décidé que le concessionnaire assumerait la responsabilité pour la maintenance et l'entretien, pendant toute la durée du contrat. Vu que les frais des travaux de réparation éventuels de l'autoroute incomberaient-ils au concessionnaire, cela donnerait une motivation forte de faire un travail de haute qualité. Un tel contrat CET a donné un avantage important contrairement aux contrats classiques de marchés publics qui offrait des garanties de travaux entre 1 à 10 ans, a estimé Raybaud. « C'est la responsabilité du concessionnaire de mettre toutes les ressources nécessaires afin d'assurer la qualité du travail ainsi que la sécurité des usagers de l'autoroute pour toute la durée de la concession », a-t-il dit. Comme il est revenu au concessionnaire de supporter aussi le risque du trafic, « l'Etat du Sénégal bénéficie d'une "assurance tous risques" pour la période de concession de 30 ans ».‎ Une autre décision clé concernait la durée du contrat. La durée de la concession devait être suffisamment longue pour apporter au gouvernement des garanties à long terme concernant la qualité des travaux tout en laissant suffisamment de temps au concessionnaire de percevoir des revenus qui lui permettraient de rentabiliser son investissement. D'un autre côté, une durée de concession trop longue était de nature à atténuer l'attractivité du projet, les coûts d'entretien augmentant avec le temps et le gouvernement devant patienter plus longtemps avant de percevoir les recettes de péage. Ces éléments ont conduit l'APIX à porter la durée de la concession à 30 ans. ‎ Bien que certains aspects du partenariat ne fussent pas modifiables, ses promoteurs ont décidé de laisser une marge de manœuvre dans divers domaines afin de bénéficier, le cas échéant, de l'expertise des entreprises partenaires. Le tracé était définitif et le dossier d'appel d'offres imposait un cahier des charges en termes de conception, de matériaux et de normes de construction. Toutefois, les soumissionnaires pouvaient de suggérer toute modification susceptible d'améliorer la qualité de l'autoroute ou de réduire les coûts du projet. « Il s'agit d'une pratique courante dans les contrats PPP et nous souhaitions pouvoir bénéficier de leurs suggestions. C'est pourquoi nous avons restreint le nombre de points non négociables », a expliqué Diaw. ‎ Une fois les documents prêts, l'APIX a lancé la procédure d'appel d'offres au mois d'avril 2007.‎ Le choix du concessionnaire ‎ En tant qu'agence de promotion des investissements, l'APIX était en mesure de proposer le marché à l'international. « Nous ne voulions pas seulement trouver un partenaire privé, nous voulions trouver le meilleur partenaire possible », a dit Diaw. Environ dix entreprises manifestaient leur intérêt, dont trois ont participé à la phase de présélection. Ces trois entreprises - basées en France, au Portugal et au Maroc - répondaient aux critères requis, dont une expérience préalable dans ce type de projets, une équipe compétente, des équipements nécessaires à la réalisation du contrat et des liquidités suffisantes. ‎ En mars 2008, à l'issue de la phase de présélection, l'APIX reçut les offres techniques des sociétés française et portugaise, le groupe marocain s'étant retiré. À ce stade, les entreprises émettaient des suggestions relatives à la conception de l'autoroute, notamment pour la rendre plus rentable et expliquaient de manière approfondie comment elles pensaient remplir leurs obligations contractuelles. Selon Diaw, les offres techniques initiales servaient de point de départ à « des discussions plus directes au cours desquelles les [sociétés] privées disaient "Si vous voulez qu'on vous suive, il faut changer cela", ou bien "Cette solution technique est plus intéressante, vous devriez considérer cette option." » Au cours des mois de mars et d'avril, l'équipe de l'APIX a rencontré chacun des soumissionnaires pour examiner leurs propositions et statuer sur celles qui seraient intégrées dans les dossiers définitifs d'appel d'offres. ‎ Les discussions portaient essentiellement sur des modifications techniques. L'APIX a rejeté certaines suggestions, telles que la modification de la composition des matériaux de construction. L'APIX en a conservé d'autres dans la phase finale de l'appel d'offres. C'est le cas de l'idée de l'entreprise française d'adapter la conception des passerelles pour les piétons afin d'en simplifier la construction, a expliqué Abdoulaye Thiam, directeur technique à l'APIX.‎ Par ailleurs, chacune des entreprises proposa des révisions contractuelles. La loi sénégalaise de 2004 sur les partenariats construction-exploitation-transfert incluait des dispositions relatives à l'arbitrage par un tribunal régional géré par l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). « Mais, les soumissionnaires ont dit "Nous ne voulons pas dépendre de l'OHADA, nous préférons un tribunal international. Si vous souhaitez qu'on participe à cet appel d'offres, modifiez la loi et autorisez l'arbitrage international." », a rappelé Diaw. De fait, le Parlement a modifié la loi afin d'autoriser les parties à se mettre d'accord sur les procédures d'arbitrage, ce qui, d'après Diaw, correspondait davantage aux pratiques internationales pour les projets PPP.‎ Pendant que l'APIX élaborait et révisait les documents durant la phase de négociation, le Conseil des infrastructures contrôlait le processus pour identifier d'éventuels signes d'impartialité ou de manipulation, validant chaque étape. Après que l'APIX a déterminé les changements à incorporer dans les dossiers d'appel d'offres et reçu l'approbation du Conseil, elle a émis les documents définitifs au mois de mai 2008. Chaque entreprise disposait d'un délai jusqu'au mois d'octobre pour préparer son offre technique et financière. ‎ Au cours de la deuxième phase, l'APIX, le comité d'évaluation et le Conseil des infrastructures a mis davantage l'accent sur les aspects financiers, chaque entreprise ayant démontré sa capacité à répondre aux contraintes techniques du projet. Du côté du gouvernement, le critère essentiel était le montant que chaque entreprise était prête à investir dans la construction, compte tenu de son modèle financier et des tarifs de péage qui avaient été fixés. Selon Abdoulaye Thiam, c'est la raison pour laquelle les aspects financiers ont pesé plus lourdement (60 %) dans l'examen des propositions que les modifications techniques (40 %). ‎ Le groupe français, Eiffage, retenu comme le meilleur soumissionnaire, a proposé un financement de 92,5 millions d'euros (environ 125 millions USD en 2009) en dette et en capitaux propres, représentant environ 40 % des coûts de construction. À la suite de sa sélection en décembre 2008, Eiffage a créé une entreprise filiale, la SENAC, pour servir comme concessionnaire.‎ Le coût était un élément essentiel de cette décision, mais d'autres aspects de la proposition d'Eiffage ont permis de sécuriser l'accord. « Un des atouts du groupe Eiffage était qu'il s'engageait à refaire le revêtement [de la route] tous les dix ans », a expliqué Abdoulaye Thiam, et ce, en lien avec une société de surveillance afin de garantir la qualité de travail. De plus, le groupe Eiffage réalisait des travaux au Sénégal depuis 1926. La structure de l'accord était certes nouvelle, mais « le groupe Eiffage connaissait bien le Sénégal et était prêt à prendre plus de risques qu'un concessionnaire de Singapour, par exemple », a ajouté Moctar Thiam de la Banque mondiale. ‎ ‎ « Nous avons accepté de prendre certains risques parce qu'il s'agissait du Sénégal », a affirmé Payerne.‎ Faisant suite à la désignation d'Eiffage par le comité d'évaluation comme le soumissionnaire favori, le groupe et le gouvernement ont passé encore huit mois à négocier avant de parvenir à un contrat de concession définitif. ‎ Pendant cette période, les parties ont convenu quelques ajustements techniques. Par exemple, « Le projet restait encore relativement coûteux et nous avons demandé à Eiffage de faire des propositions pour réduire les coûts », a dit Diaw. Le groupe a suggéré alors de construire deux échangeurs par étapes, avec des bretelles d'entrée et de sortie en alternance, en attendant que le trafic soit suffisamment dense pour justifier la construction des autres bretelles. ‎ Les deux partenaires devaient également finaliser les indicateurs de performance du contrat, tels que le temps d'attente maximal au péage ou l'épaisseur du béton. Si le groupe Eiffage ne remplissait pas l'un des objectifs, le gouvernement sénégalais pouvait exiger d'amendes de plusieurs millions de francs CFA, en fonction de l'indicateur concerné. Toutefois, Ndong a précisé qu'ils « recherchaient un contrat équilibré. [...] Quand l'État impose, il doit être prêt à accepter certaines conditions en retour. » Ainsi, en cas de retard de paiement, ou de délai de cession des terrains, par l'État au groupe, le gouvernement était également passible d'amendes.‎ Enfin, les négociations ont traité un dernier facteur de risque : l'inflation. « L'opérateur privé avait proposé un forfait basé sur ses prévisions », a expliqué Ndong, mais le gouvernement a choisi de prendre le risque d'appliquer un indice d'ajustement de l'inflation à chaque paiement. Or, l'inflation a été plus élevée que prévu, a-t-il dit, donc les sommes dues par l'État ont aussi nettement augmenté. Avec le recul, Ndong a estimé qu'il aurait mieux valu accepter une somme forfaitaire bien négocié.‎ Une fois l'accord signé en juillet 2009, les deux parties devaient encore finaliser le cadre financier. Le gouvernement sénégalais a contribué aux coûts de construction à hauteur de €130 millions d'euros, en puisant €55 millions d'euros (environ US$ 74 millions) dans son propre budget et en empruntant le reste auprès d'agences de développement.‎ La Banque mondiale, impliquée dans le projet dès son origine, a débloqué des ressources importantes. Outre les prêts consentis pour la mise en œuvre du projet « [La banque] a été notre soutien numéro un, finançant la plupart des études nécessaires au projet », a indiqué Niane. Pendant la procédure d'appel d'offres, l'APIX avait aussi sollicité l'Agence française de développement (AFD) et la Banque africaine de développement. « Une fois trouvé notre principal bailleur de fonds, il était plus facile de faire appel à d'autres bailleurs », a dit Niane, même si chacun d'entre eux avait un processus d'approbation très lente. Les bailleurs de fonds ont, ensemble, décidé la répartition des financements : l'AFD et la Banque africaine de développement proposaient des prêts pour la construction de l'autoroute tandis que la Banque mondiale se positionnait plutôt sur les aspects sociaux et environnementaux, en complément des financements de l'AFD.‎ Pour financer ses 92,5 millions d'euros d'investissement, Eiffage a fait appel aux filiales privées de deux de ses bailleurs de fonds : la Société financière internationale (SFI), investisseur du secteur privé au sein du Groupe de la Banque mondiale, et la filiale privée de la Banque africaine de développement. « Le projet étant déjà connu des conseils d'administration de ces institutions, l'obtention du financement par le concessionnaire allait être plus simple et plus rapide », a indiqué Niane. Les filiales publiques ayant déjà revu le projet - et notamment le respect des « sauvegardes » sociales et environnementales - « certaines questions avaient été réglées avant même que nous n'intervenions dans le projet, et nous avons donc pu nous concentrer sur l'aspect commercial », a confirmé Rokhaya Diop-Diallo, responsable principale pour le secteur privé au bureau de Dakar de la Banque africaine de développement. ‎ SENAC, la filiale Sénégalais d'Eiffage, a obtenu également des prêts auprès de deux autres banques, la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la CBAO, une banque commerciale sénégalaise. Alors que le groupe comptait sur plus de financement des banques commerciales locales, une seule était disposée à prendre le risque d'investir dans ce nouveau type de projet. La finalisation de tous les prêts, notamment ceux du secteur privé, a pris environ huit mois, jusqu'à novembre 2010. Alors que les négociations étaient en cours, le gouvernement avait accepté de commencer à verser sa contribution « afin de pouvoir démarrer le projet », a dit Diaw.‎ Le dégagement de la route Pour que SENAC puisse lancer la construction, l'APIX devait coordonner la libération des emprises de l'autoroute et gérer le déménagement d'environ 30 000 personnes, principalement habitant dans les quartiers pauvres et densément peuplés de Pikine.‎ La réinstallation était fréquemment un problème avec les projets d'infrastructure à travers le monde13. L'APIX a fait appel à trois organisations non gouvernementales (ONG) pour accompagner les personnes déplacées dans le processus d'indemnisation et de réinstallation, et ainsi d'assurer qu'ils soient traités de manière juste. « Dans nos projets, nous essayions de montrer aux gens qu'ils ont des droits, qu'ils peuvent poser des questions et discuter avec les autorités », a déclaré Diouf, chargé de la libération des emprises. Le rôle des ONG était d'agir en médiateur neutre et de rendre le processus clair et simple pour les citoyens.‎ Une des étapes clés était la vérification de la liste des habitants concernés, à partir d'un recensement coordonné par l'APIX en 2006. Des représentants des ONG ont visité chaque maison, afin de s'assurer que tous les propriétaires dont les biens seraient affectés par le projet étaient inclus sur la liste de compensation tout en vérifiant que la liste ne comprenait que les personnes qui devaient être réinstallées. Au cours des précédents projets d'infrastructure menés au Sénégal, seuls les propriétaires dotées des titres étaient admissible à des indemnités pour leurs pertes, a précisé Diouf. « Dans le cadre de ce projet, nous avons néanmoins adopté la politique des bailleurs de fonds internationaux qui consiste à prendre en compte la perte d'un terrain, y compris lorsque les personnes ne détiennent pas de titres officiels ». Ainsi, conformément aux politiques des bailleurs de fonds, la liste des personnes ayant droit à une compensation a inclus les propriétaires des terriens informels, les locataires, et les gérants de commerces situés dans la zone affectée.‎ Par ailleurs, les ONG ont joué un rôle essentiel pour expliquer le projet et le processus de compensation aux habitants, qui, naturellement, « n'allaient pas accepter le projet immédiatement », a dit Madjiguene Dieng d'ENDA ECOPOP, une ONG internationale dont l'entité sénégalaise participait au processus de réinstallation. « Leur première source d'inquiétude était qu'ils savaient qu'ils allaient être déplacés, mais ils ignoraient où. De plus, ils craignaient de ne pas être suffisamment indemnisés [...] et d'avoir de nouveaux voisins [en déménageant]. » ‎ Pour recevoir leur indemnisation, les habitants devaient présenter la copie de leur carte nationale d'identité et de leur acte (ou titre) de propriété. Les détenteurs de biens hérités devaient produire des documents comme un certificat de succession, une attestation de non-opposition, et une procuration notariée en complément de l'acte de propriété et des copies de la carte nationale d'identité de l'héritier et du propriétaire décédé. Les ONG aidèrent les familles à rassembler toutes des pièces demandées pour qu'elles reçoivent leur compensation. Une fois la question des papiers réglée, les membres de la famille, accompagnés des représentants des ONG, rencontrait la Commission de conciliation, une instance constituée de représentants des autorités locales, du ministère de l'Intérieur et de l'APIX.‎ Dieng a expliqué que le personnel de la commission évaluait chaque propriété et proposait une compensation basée sur la superficie du terrain, le type de construction et ses composantes, comme le nombre de pièces, l'utilisation de portes en bois ou en fer, ou la présence de fosses septiques. Chaque habitant recevait 40 000 francs CFA (environ 80 USD) par mètre carré de terrain titré et 17 000 francs CFA (soit près de 34 USD) par mètre carré de terrain loué ou détenu de manière informelle. Avec leur compensation, les habitants pouvaient obtenir un terrain dans la zone de réinstallation à un tarif subventionné si la valeur de leur compensation était comprise entre 5 et 10 millions de francs CFA (soit entre 10 060 USD et 20 160 USD), ou bien à 17 000 francs CFA le mètre carré si la compensation était supérieure à 10 millions de francs CFA. Les familles les plus pauvres recevaient un terrain gratuitement.‎ ‎ « Si une personne affectée par le projet refuse la compensation proposée par l'État [...], elle peut soumettre une réclamation sur le point de désaccord à la Commission de conciliation », a déclaré Mamadou Mansour Diagne, délégué national et responsable opérationnel d'ENDA ECOPOP. Dans ce cas, des membres des ONG accompagnaient les évaluateurs lors d'une autre visite de la propriété visant à réexaminer sa valeur. En règle générale, si le désaccord persistait, le personnel des ONG essayait de faire comprendre aux habitants que « le projet serait toujours plus avantageux pour les populations affectées - leurs conditions de vie seraient améliorées », a dit Diagne. Le dialogue progressait parfois lentement mais finissait généralement par aboutir. « Ils ont parfois besoin de temps pour donner leur accord, mais après de nombreuses discussions et explications, ils acceptent », a conclu Diouf.‎ Plutôt que de multiplier les réclamations individuelles, certaines communautés ont opté pour une négociation plus collective. Dans le quartier de Sicap Mbao, par exemple, la communauté a désigné des représentants dès le début du projet pour demander un taux d'indemnisation plus élevé. « Nous n'étions pas vraiment satisfaits » du montant, a déclaré Daoud Mamadou Gueye, alors porte-parole de la communauté et devenu plus tard président de l'association des résidents de la zone de réinstallation. Lorsque le gouvernement a refusé de modifier le taux proposé, « j'ai alerté la presse de notre mécontentement ».‎ En réponse, le gouvernement a souligné à la fois la valeur monétaire de la compensation et l'ensemble des aménagements qui seraient construits dans la zone de réinstallation, a ajouté Gueye. « Ils ont invité les habitants par commune, par groupe, pour leur montrer les plans, le site, sa localisation et ce qu'il était prévu de mettre en place. » Certains habitants accordaient peu de valeur au site, mais d'autres ont été convaincus « et le mouvement a commencé à faiblir », s'est souvenu Gueye. Il a décidé en fin d'accepter l'indemnité de réinstallation plutôt que de le perdre complètement. Dieng a dit : « Même s'il n'était pas d'accord, [le résident] était obligé de partir et sa compensation lui était alors réservée. Le moment venu, il devrait quitter les lieux. [...] Il était donc préférable qu'il accepte le montant de l'indemnisation, décrite comme juste et équitable. » ‎ Le suivi de la construction En janvier 2010, la voie en grande partie dégagée, SENAC a démarré les travaux. Bien que la responsabilité de la construction incombe à l'entreprise - laquelle serait tenue de payer les coûts éventuels de rénovation si des défauts apparaissaient pendant la durée de la concession - l'APIX contrôlait les travaux pour certifier la qualité, l'efficacité, et l'actualité. ‎ Pour l'assister dans la maîtrise d'ouvrage ainsi que sa surveillance technique quotidienne, l'APIX a embauché l'Egis, en tant qu'entreprise de supervision. Les deux collaboraient sur ce projet depuis le début. Egis a élaboré la conception initiale du projet et prodigué des conseils techniques à l'agence pour la construction de la section de l'autoroute financée par le gouvernement sénégalais (entre Patte d'Oie et Pikine). Une fois la construction a été lancée, Egis a joué le rôle d'un « organisme expert » en aidant l'APIX à s'assurer que les travaux seraient achevés dans les temps et selon les spécifications requises, a expliqué Raybaud. ‎ La partie la plus centrale de la surveillance était le suivi de l'avancement concret des travaux, réalisé principalement par le biais de visites sur site complétées par les rapports de SENAC. Egis a travaillé en étroite concertation avec l'APIX, l'entreprise, les bailleurs de fonds, ainsi que les ministères impliqués afin de collecter et synthétiser les informations sur les progrès techniques et financiers du projet. Avec l'information transmise par SENAC, les visites aux sites, et les réunions, Egis produisait des rapports mensuels afin de tenir informés tous les participants et d'établir un suivi détaillé du projet. L'accent sur l'engagement a pu assurer que Egis était en mesure de conseiller l'APIX sur l'état d'avancement des travaux, la qualité, et la gestion de nouvelles situations.‎ SENAC a fait appel au groupe français d'ingénierie Setec pour le suivi et le contrôle des travaux, a rappelé Céline Grall, qui avait également travaillé sur le projet au sein d'Egis. « Chaque jour, ils [Setec] se rendaient sur place, contrôlant les travaux directement et vérifiant les résultats des tests », a-t-elle dit. Les rapports de Setec transmettaient toutes les informations utiles pour qu'elles soient analysées par l'APIX et Egis, comme les résultats des tests sur la qualité du béton par exemple. ‎ Si la concessionnaire ne respectait pas les indicateurs de performance établis dans le contrat concernant la qualité et l'état d'avancement des travaux, l'APIX pouvait appliquer des pénalités. « Le partenaire privé ne souhaitant pas perdre d'argent, il s'efforce de respecter le planning initial », a précisé Ndong. Dans ce contexte, le groupe a répondu parfaitement aux indicateurs. Il a ajouté toutefois que le gouvernement avait parfois effectué ses versements avec retard et qu'il s'était ainsi lui-même exposé à des pénalités.‎ Le pilotage du projet Outre la supervision quotidienne assurée conjointement par l'APIX et Egis, le comité de pilotage de l'infrastructure nationale a surveillé les travaux de l'APIX au niveau politique. Ce comité, rattaché au bureau du Premier ministre et représentant tous les ministères impliqués dans les projets d'infrastructure, se réunissait une fois par mois pour examiner les progrès et régler les problèmes majeurs éventuels.‎ Niane, qui présidait le comité, a expliqué que sa mission consistait à « leur communiquer les informations dont elle disposait [...], leur faire part de l'état d'avancement du projet, porter à leur connaissance les principaux problèmes et les solutions identifiées pour les régler. Le second objectif était de pouvoir échanger, en cas de problème spécifique, afin de dégager un consensus. » De la même manière qu'en phase préparatoire, le Premier ministre était amené à prendre les décisions finales lorsque le comité n'avait pas été en mesure de résoudre certains problèmes.‎ Le comité de pilotage a permis d'assurer au projet un soutien de haut niveau puisqu'il offrait aux ministres, maires et autres responsables une tribune pour exprimer leurs inquiétudes. Comme l'a expliquée Niane, les problèmes techniques étaient généralement confiés à l'APIX et au concessionnaire, tandis que le comité de pilotage s'occupait plus près les questions sociales et environnementales, « notamment le déplacement des populations, qui constituait leur principale source d'inquiétude ». Aminata Niane a ajouté qu'après avoir élevé au rang de ministre en 2008, elle était en mesure de soulever des questions importantes au cours des réunions du cabinet, sur lesquelles le Président pourrait justement agir.‎ Les bailleurs de fonds, publics et privés, ont également participé à ce suivi. Les représentants des trois bailleurs de fonds publics - la Banque mondiale, l'AFD et la Banque africaine de développement - rencontraient régulièrement l'APIX. Il y a eu aussi des visites conjointes de terrain afin d'évaluer l'avancée des travaux. « Les bailleurs de fonds s'entendirent sur le fait de confier la coordination à la Banque mondiale », a expliqué Marieme Lo de l'AFD. En collaboration avec les autres bailleurs, l'équipe du projet de la Banque mondiale traitait généralement les questions relatives aux procédures de passation de marchés et aux politiques de compensation des impacts sociaux et environnementaux.‎ Les bailleurs privés - SFI, Banque africaine de développement, Banque ouest-africaine de développement et CBAO - suivaient également le projet de manière régulière, avec, à leur tête, la SFI. Diop-Diallo, de la Banque africaine de développement, a précisé que le groupe de bailleurs de fonds privés avait fait appel à son propre expert technique pour mesurer, tous les trois mois, les progrès réalisés pendant la phase de construction. Une fois l'autoroute achevée, « [nous] suivions les flux de trésorerie, anticipions les obstacles de trésorerie, discutions avec le sponsor, révisions [le modèle financier] de temps en temps et mettions à jour les prévisions de trafic », a-t-il expliqué.‎ La coordination et la communication Le projet était tellement vaste et complexe que l'APIX devait collaborer avec un grand nombre d'institutions, qui incluaient notamment les bailleurs, les ministères publics et les associations locales. De nouveaux enjeux se présentaient quotidiennement, dont la gestion nécessitait une coordination efficace. ‎ Compte tenu des nombreuses composantes du projet, Diaw a estimé qu'il n'était pas possible de « rassembler l'ensemble des acteurs au sein d'une seule instance - c'était impossible et les questions étaient extrêmement différentes. Les acteurs concernés par la fermeture de la décharge [pouvaient ne pas avoir] grand-chose à voir avec la protection de la forêt de Mbao. » Il a expliqué que l'APIX rencontrait les bailleurs chaque mois pour examiner le progrès global. Des comités de travail plus restreints ont été chargés á l'examen de diverse questions, telles que la réinstallation des populations ou la gestion de la forêt. Ces groupes se composaient généralement de l'APIX, des bailleurs de fonds concernés par cette question, des ministères pertinents, ainsi que des autorités locales et des associations communautaires impliquées dans les discussions. Ces groupes coordonnaient les activités et résolvaient les problèmes quotidiens qui ne nécessitaient pas de décision politique à haut niveau. ‎ Par exemple, l'atténuation des répercussions de l'autoroute sur la forêt de Mbao impliquait la participation de l'APIX, de la Banque mondiale (qui avait financé cette composante du projet), de la Direction des eaux et des forêts du ministère de l'Environnement et des communautés riveraines de la forêt qui l'utilisaient pour l'agriculture et le pâturage. Ayant décimé une large bande d'arbres pour construire l'autoroute, l'ensemble des participants était déterminé à préserver le reste de la forêt.‎ À partir du plan d'aménagement de la forêt développé par l'APIX et la Direction des forêts en 2008, le comité et les autorités locales ont miré en place un « code de conduite » participatif pour régler l'usage des ressources forestières par les membres de la communauté. La Direction des forêts organisait des sessions de formation sur l'apiculture, l'aquaculture et l'agriculture durable afin d'encourager des moyens de subsistance alternatifs, comme l'explique Badara Sy, chef de l'unité environnement de l'APIX. Sy a précisé également que l'APIX a travaillé avec les responsables des communautés pour établir des comités de surveillance visant à sensibiliser les autres riverains de la forêt au développement durable et à servir de « première ligne de défense » contre les violations du code de conduite, telles que le déversement de déchets dans la forêt ou l'abattage d'arbres sans autorisation pour du bois de chauffage. ‎ Outre le rôle qu'ils ont joué dans les activités typiques du projet - telles que la gestion des forêts - les bailleurs internationaux, privés comme publics, se sont montrés efficaces dans la résolution des problèmes atypiques. « Ils sont capables de s'adresser autrement au gouvernement, de communiquer d'une manière différente de nous, société privée », a indiqué Payerne du groupe Eiffage. Par exemple, les bailleurs ont endossé un rôle de médiateur en parvenant à contourner les restrictions de la Banque centrale ouest-africaine relatives aux comptes offshores. Pour éviter les pertes de change, la Banque centrale avait interdit aux sociétés basées dans les pays membres de l'Union monétaire ouest-africaine - y compris SENAC, le concessionnaire sénégalais d'Eiffage - d'ouvrir des comptes offshores en autre devise que le franc CFA, comme l'euro. Cependant, les bailleurs privés de SENAC exigeaient que le groupe conserve un compte offshore libellé en euros et avec des fonds suffisants pour couvrir six mois de remboursement de prêt. Se mobilisant à titre individuel et collectif, les bailleurs ont obtenu une dérogation pour SENAC après avoir rencontré et écrit aux responsables de la Banque centrale. ‎ D'autres problèmes ont été résolus plus simplement. Par exemple, SENAC et l'APIX ont collaboré sur la réinstallation des 30 000 personnes habitant dans la zone de construction bien que le groupe n'ait officiellement aucun rôle à jouer dans le dégagement de la route. Payerne a convenu que le déplacement relevait de la responsabilité du gouvernement, mais il arrivait que « certaines personnes restent un, deux ou trois mois dans leur maison et les engins partaient [ailleurs] puis revenaient [...]. Il faut beaucoup de coordination pour que tout se déroule sereinement. »‎ L'APIX et SENAC étaient également inquiets au sujet de l'acceptation du péage par les citoyens, et chacun a mené sa propre campagne de promotion de l'autoroute. Pendant les phases de planification, l'APIX a diffusé des publicités à la télévision et à la radio pour rallier l'appui public. « Nous avons expliqué aux gens qu'il s'agissait d'un projet des pouvoirs publics qui allait être utile », a dit Niane. Les conditions déplorables de circulation ont contribué à rendre le public réceptif à la campagne. Pendant la phase de construction, SENAC a organisé ses propres campagnes de communication pour encourager les gens à emprunter l'autoroute. « Nous avions équipé un camion avec une scène de théâtre pour qu'il parcoure les zones concernées », a raconté Payerne. « Par exemple, vous voyez un mari qui rentre très tard du travail, sa femme est au lit et le thiébou dieune [plat traditionnel sénégalais de riz au poisson] est froid ; désormais, grâce à l'autoroute, il arrive plus rapidement, sa femme est contente, il peut l'aider à préparer le thiébou dieune. Vous voyez, la vie de famille rêvée. »‎ Les automobilistes sénégalais n'étant alors pas habitués aux péages, le groupe a dû également expliquer les principes et le fonctionnement du système. L'objectif, a précisé Payerne, était « de leur faire comprendre progressivement [que] le paiement n'avait rien à voir avec la conduite de leur véhicule, mais avec l'achat d'un service, à conduire en toute sécurité, sur une route sans nids-de-poule, sans accidents de camions, et sans vendeur de rue dans les embouteillages. »‎ Dans de nombreux cas, « la coordination était très informelle », a déclaré Payerne. Même si certaines questions dépassaient parfois la portée du contrat, « nous étions un peu plus proactifs pour intégrer de nouvelles questions et tenter d'y répondre », a-t-il ajouté. Moctar Thiam a confirmé que la Banque mondiale et l'APIX se réunit régulièrement, mais une plus grande souplesse s'est relevée nécessaire pour résoudre des problèmes. « En cas de problème, nous mettions en place une équipe avec le gouvernement [...], il fallait la créer rapidement et avancer ».‎ SURMONTER LES OBSTACLES Bien que de nombreux acteurs impliqués dans ce projet d'autoroute reconnaissaient que le processus initial de dégagement de la route s'était relativement bien déroulé, la réinstallation des populations déplacées a posé des défis considérables. ‎ Les plans du site d'accueil à Tivaouane Peulh prévoyaient des infrastructures de grande qualité -de la construction des routes goudronnées à un réseaux électriques - ainsi qu'un meilleur accès aux services sociaux tels que les soins médicaux et l'éducation. Toutefois, la passation des marchés pour construire l'ensemble des équipements du site, et la phase de construction elle-même, ont pris bien plus de temps qu'escompté. Le site devait être disponible en juillet 2011 mais l'inauguration a été reportée à juin 2012, puis avril 2013, quand l'infrastructure est achevée, a dit Diouf.‎ Alors que le site était presque terminé, l'exigence de fermer le dépotoir Mbeubeuss avant d'ouvrir le site d'accueil menaçait d'aggraver encore le retard. À l'origine, les inquiétudes relatives aux conséquences sanitaires de la décharge et l'espoir d'utiliser le projet d'autoroute comme un levier pour régler ce problème persistant avaient conduit la Banque mondiale et l'APIX à faire de la fermeture de Mbeubeuss une condition préalable à tout déplacement vers Tivaouane Peulh. Cependant, les difficultés de sécurisation d'un site pour la nouvelle décharge ont bloqué le processus. Avant le début des travaux d'autoroute, à la lumière d'une étude réalisée par un consultant international, le gouvernement avait sélectionné un site sur la commune de Sindia pour y implanter une nouvelle décharge. Toutefois, des tensions entre les parties et à différents niveaux du gouvernement ont paralysé le plan. Sy a rapporté que les autorités locales de Sindia n'avaient pas été suffisamment impliquées dans la planification du projet et a ajouté que les autres responsables politiques et les habitants s'y étaient opposés en dépit du soutien du maire. Malgré des voyages d'études dans des décharges dernière génération en Italie et des efforts pour assouplir l'accord, avec des promesses d'embauche et de contribution au budget local, aucun accord n'avait pu être trouvé. ‎ Au mois de juillet 2012, l'APIX et la Banque mondiale ont accepté de mener des analyses supplémentaires sur l'impact sanitaire de la décharge de Mbeubeuss. Les résultats de cette nouvelle étude, achevée en novembre 2012, ont conclu que Mbeubeuss représentait un risque moins élevé qu'on ne l'a d'abord pensé. La première étude sur l'environnement et la santé, achevée en 2008, avait conclu que le sol était sain pour tout type d'utilisation, y compris l'agriculture. Néanmoins, la nappe phréatique de la zone étant polluée - à l'instar de l'ensemble de la région de Dakar - l'étude recommandait la construction d'un réseau d'eau courante. Tandis que cette étude ne prenait pas en compte les problèmes éventuels de pollution atmosphérique, l'étude réalisée en 2012 faisait état d'un niveau de pollution de l'air à Tivaouane Peulh inférieur à la moyenne du Sénégal. Par ailleurs, les enquêtes conduites en 2012 dans les centres de santé de la région ont indiqué que l'utilisation de l'eau souterraine constituait l'unique risque majeur pour la santé14. ‎ Compte tenu des conclusions de l'étude, la Banque mondiale et le gouvernement sénégalais ont accepté, au mois de juin 2013, d'abandonner la condition de fermeture de Mbeubeuss et de permettre l'ouverture du site de réinstallation. La question du remplacement de Mbeubeuss était restée une composante à part du projet. Toutefois, au début de l'année 2016, Tojoarofenitra Ramanankirahina, spécialiste du transport à la Banque mondiale, a déclaré que la banque et le gouvernement envisageaient de retirer cet élément du projet d'autoroute puisqu'aucun progrès n'avait été réalisé. « Nous n'avons plus le temps de poursuivre les discussions sur Mbeubeuss dans le cadre de ce projet », a-t-il dit. Ils ont décidé finalement de consacrer le reste de l'année à une étude plus détaillée sur Mbeubeuss et de programmer sa mise en œuvre à l'occasion d'un futur projet d'assainissement urbain.‎ Même lorsque le site était prêt, le déménagement des personnes est resté compliqué. Les délais de préparation du site avaient contraint les populations déplacées à trouver des solutions alternatives, causant des nombreuses difficultés aux personnes qui avaient perdu leur habitation. ‎ Pendant les années d'attente, les familles déplacées à cause du projet avaient dû trouver un endroit pour vivre, ce qui s'était révélé cher et compliqué - ce d'autant plus que des milliers de personnes arrivaient simultanément sur le marché. Pour ceux qui prévoyaient de s'installer sur le terrain qu'ils avaient acheté ou reçu à Tivaouane Peulh, les coûts de location avaient largement entamé l'indemnisation reçue pour la construction de leur nouvelle maison. La Banque mondiale a réaffecté des crédits à l'APIX pour couvrir les frais de location supplémentaires pour les personnes déplacées. Toutefois, Fama Sylla, une habitante de Sicap Mbao qui a fini par déménager dans la zone de réinstallation, a estimé que les paiements ont trop tardé et qu'ils se sont avérés insuffisants pour couvrir plusieurs années de location sur le marché tendu de Dakar. « J'ai été locataire trois ans. Imaginez, j'ai payé le loyer tout ce temps, je devais me nourrir, payer l'eau et l'électricité. [..] Bien sûr, l'APIX a fini par payer le loyer et m'a remboursée. Mais le remboursement ne pouvait pas couvrir la construction d'une maison », a-t-elle déclaré.‎ D'autres ont refusé d'attendre et ont trouvé un logement permanent en dehors du site d'accueil. Yacine Lo, qui avait acheté une maison à Pikine, a déclaré qu'elle aurait préféré construire une nouvelle maison sur le terrain qui lui avait été donné à Tivaouane Peulh mais que « la réinstallation prenait trop de temps et je devais absolument mettre ma famille à l'abri. [...] c'était urgent pour nous, nous devions faire vite. » Comme Lo, beaucoup de gens ont choisi d'utiliser leur indemnisation pour obtenir un logement, quel qu'il soit et ceux qui avaient prévu de déménager vers le site d'accueil sont réduit. Ainsi, au début de l'année 2106, Diouf a constaté que « le nouveau site est très peu occupé. Il n'y a pas beaucoup de familles et cela s'explique par les retards pris. »‎ Le nombre de déplacements dans le site d'accueil s'étant diminué, les personnes qui ont déménagé dans cette zone déclarent faire face à des difficultés financières. Sylla, qui tenait un petit commerce informel de vente de poisson, avait prévu de poursuivre son activité à Tivaouane Peulh mais s'est trouvée à court de clients. Sans un nombre significatif d'habitants, il s'est avéré très difficile de faire vivre un commerce dans la zone. Avant de déménager dans le site d'accueil, Mamadou Malaly tenait un magasin à Pikine qu'il espérait pouvoir délocaliser à Tivaouane Peulh, « mais du point de vue commercial, rien n'est encore fonctionnel », il s'est désolé. Compte tenu de la faible clientèle dans cette zone, il a préféré conserver son ancien magasin et effectuer un aller-retour, ce qui représentait une perte de temps et des dépenses supplémentaires. Un marché est en construction sur le site d'accueil, a reconnu Dieng. Mais « actuellement, la zone n'est pas encore très peuplée...[donc pour le moment] les gens doivent partir, venir ici à Guinaw Rails [dans la banlieue de Dakar] ou se rendre en ville pour travailler. »‎ La réinstallation a également affecté ceux qui ont choisi de ne pas déménager dans le site d'accueil, leur privant de leur gagne-pain. « Je ne peux plus faire ce que je faisais avant », a expliqué Lo, une autre vendeuse informelle, et il en va de même pour tous les membres de sa famille. Elle a reconnu que l'indemnisation lui a permis d'acheter un logement plus confortable que le précédent, mais « une fois l'autoroute terminée, certains de mes clients ont été affectés par celle-ci et sont partis. »‎ En se tournant vers d'autres solutions que le site d'accueil, les personnes déplacées ont perdues une partie de leur réseau social. Les documents de planification de la Banque mondiale avaient souligné que « la principale inquiétude exprimée par 49 % des [personnes affectées par le projet] est l'interruption de leur vie sociale comme résultante d'un recasement involontaire ». Dans ce contexte, le plan de réinstallation avait été conçu pour « minimiser les ruptures de lien social15. » Toutefois, les communautés ont eu du mal à rester soudées compte tenu des retards dans l'ouverture de Tivaouane Peulh. « Nous avions dit que nous resterions ensemble, mais nous sommes désormais complètement éparpillés », a dit Lo. « Certains ont construit leur maison sur le terrain qu'ils ont reçu, d'autres ont pris leur argent et sont partis ailleurs, et nous, nous sommes là. Et nos clients ont changé, nos voisins ont changé. »‎ Il semble que certaines personnes aient décidé de vendre leur terrain dans le site d'accueil. « C'est une question difficile, et notre premier objectif est de leur proposer une zone d'habitation de bonne qualité », a fait remarquer Ramanankirahina. « D'un côté, ils se sont engagés à ne pas vendre avant cinq ans, et de l'autre, ils sont propriétaires. » Bien que la législation interdise la vente d'un terrain dans la zone de réinstallation avant cinq ans, « il y a de la spéculation dans ce secteur, car c'est très bien construit, et la valeur des terrains augmente », a ajouté Ramanankirahina. Les spéculateurs étaient prêts à payer d'avance et à ne devenir officiellement propriétaires qu'au bout de cinq ans, malgré la campagne de communication lancée par l'APIX pour décourager ce genre de ventes informelles. L'APIX et la Banque mondiale espéraient que la dynamique de déplacement vers le site d'accueil allait s'accélérer. Néanmoins, au début de l'année 2016, le rythme de la réinstallation était toujours inférieur aux prévisions. ‎ ÉVALUER LES RÉSULTATS ‎ L'autoroute à péage Dakar-Diamniadio a ouvert en août 2013. Après plus d'une décennie de travaux, l'objectif central du projet était atteint. Néanmoins, des problèmes demeuraient, notamment celui de la réinstallation.‎ La nouvelle route a fortement réduit le temps de trajet moyen entre le centre-ville de Dakar et Diamniadio, à 30 minutes sur l'autoroute à péage en 2015 passant de 90 minutes sur la Route Nationale en 2009. En divisant les flux de circulation, l'autoroute a également permis d'augmenter la vitesse de circulation sur la Route Nationale, restée une alternative gratuite.‎ Au mois d'octobre 2015, 45 000 véhicules empruntaient quotidiennement l'autoroute à péage - dépassant largement l'objectif de la Banque mondiale de 37 500 véhicules d'ici la fin du projet16. Payerne précise que les recettes ont été conformes aux attentes du groupe. ‎ Contrairement aux inquiétudes exprimées par l'APIX et SENAC quant à l'acceptation du péage par les automobilistes, ce niveau élevé d'utilisation indique que bon nombre de conducteurs ont estimé que cela en valait la peine. Les médias sénégalais ont cependant critiqué le montant des tarifs de péage, baptisant la route « autoroute à pillage » et dénonçant un cadeau fait à l'ancienne puissance coloniale17. Les tarifs - 1 400 francs CFA (soit environ 2,35 USD en 2016) pour une voiture circulant sur l'ensemble du tronçon payant, par exemple18 - paraît coûteux, reconnaît Diaw, mais l'APIX devait trouver un équilibre entre le « prix social » et les contributions financières de chaque partenaire19.‎ L'autoroute a été achevée à temps et dans le respect du budget, ce qui constitue un succès dans le secteur complexe des travaux publics. Selon Raybaud, la construction, l'opération et la maintenance de l'autoroute sont complètement conformes aux normes et critères internationaux, et ce constat a été reconnu dans tout le Sénégal, mais aussi dans les pays voisins. « Nous sommes tous fiers aujourd'hui, de ce résultat », a-t-il déclaré. Ce succès est dû à tous les efforts faits par toutes les parties impliquées dans le projet.‎ Au mois de février 2014, le gouvernement sénégalais a exprimé sa satisfaction quant au travail réalisé par Eiffage en lui confiant la concession pour une extension de 16,5 km d'autoroute, jusqu'au site d'un futur aéroport international. Toutefois, cette extension a prêté à controverse car elle a été attribuée par un amendement de l'accord existant et non au terme d'un nouvel appel d'offres. Sa finalisation était attendue pour le mois d'août 2016, mais le niveau de trafic demeure incertain en raison des retards dans la construction de l'aéroport.‎ Ce projet, premier partenariat public-privé pour une autoroute au Sénégal et en Afrique de l'Ouest, a servi d'exemple pour de futurs projets sur l'ensemble du continent. Plusieurs autres pays africains, dont le Gabon, la Côte d'Ivoire, le Cameroun et l'Ouganda, ont approché l'APIX pour en connaître davantage sur ce type de partenariat, confirme Ndong. L'AFD a utilisé ce projet comme exemple lors d'ateliers de formation consacrée au partenariat public-privé au Ghana, en Afrique du Sud et au Viêt NaLa Banque mondiale20, la Banque africaine de développement21 et l'AFD ont toutes mis en avant ce projet pour souligner le potentiel de ce type de partenariat pour le développement d'infrastructures en Afrique subsaharienne. ‎ Payerne a affirmé que le projet a suscité l'intérêt de tout le continent. « Quand je me rends dans d'autres pays, ils connaissent le projet et nous avons une excellente image. Honnêtement, cela nous a permis de redévelopper Eiffage à l'international, notamment en Afrique », a-t-il confié.‎ Bien que considéré comme un exemple pour la participation du secteur privé, le financement privé du projet s'est avéré moins important que prévu. « Le scénario initial prévoyait 40 % de [financement] public et 60 % de [financement] privé, » a expliqué Diaw. « Désormais, avec le recul, les gens ne cessent de nous demander, "Pourquoi avez-vous payé autant ?" » Mais il était essentiel de garder un prix bas de péage, a-t-il repris, et à l'époque cela nous semblait également un argument clé pour limiter le risque lié au trafic. Outre le financement de près de 60 % des coûts de construction de l'autoroute, le gouvernement sénégalais a dépensé environ 420 millions USD - en puisant dans son budget et en contractant des emprunts auprès de la Banque mondiale, l'AFD et la Banque africaine de développement - pour la réinstallation des populations, la construction d'infrastructures à Pikine et la gestion du projet. Par ailleurs, la contribution de SENAC aux coûts de construction a davantage reposé sur les banques de développement que sur les banques commerciales, contrairement à ce qu'espéraient le groupe et l'APIX.‎ Même si le partenariat autour de l'autoroute a été considéré comme un franc succès, d'autres composantes du projet n'ont pas avancé aussi bien que prévu. « La partie la plus efficace concerne l'autoroute elle-même - elle est en parfait état de marche », a déclaré Ramanankirahina de la Banque mondiale. « Ce qui avance moins bien, ce sont la réinstallation et les aspects sociaux du projet. C'est encore en cours. »‎ Deux ans et demi après l'ouverture de l'autoroute, la question de la réinstallation demeurait épineuse. Le processus d'indemnisation des habitants pour leur propriété avait été relativement simple. En outre, les équipes de la Banque mondiale et de l'APIX ont remarqué que les montants étaient bien plus élevés que lors de précédents projets au Sénégal. De plus, les locataires et les propriétaires informels étaient éligibles à l'indemnisation au même titre que les propriétaires détenteurs de titres. Jusqu'au mois d'octobre 2015, la Banque mondiale n'a signalé que deux cas non résolus de plainte déposée au sujet de l'indemnisation22. ‎ Cependant, la réinstallation des populations déplacées a continué de poser problème. L'APIX et la Banque mondiale avaient prévu le déplacement d'environ 3 000 familles vers le site d'accueil de Tivaouane Peulh23. Seule une centaine de familles s'y étaient pourtant installées au début de l'année 2016. Avec un budget de 158 millions USD, couvrant les indemnisations et la fermeture de la décharge, l'objectif était d'offrir un programme de réinstallation avec des conditions de vie améliorées pour les habitants, bénéfice collatéral du projet. Mais l'ouverture retardée du site - du fait notamment de la lenteur des procédures de passation des marchés - a contraint de nombreuses personnes à se reloger ailleurs.‎ D'autres composantes du projet ont également pris du retard. Malgré des années de mobilisation, la décharge de Mbeubeuss est toujours en activité. L'aménagement d'infrastructures à Pikine Irrégulier Sud, une banlieue informelle coupée en deux par l'autoroute, a également pris du retard. Au début de l'année 2016, la composante pour laquelle un budget de 55 millions USD avait été décidé et qui comprenait la construction d'un réseau de drainage et d'infrastructures de part et d'autre de l'autoroute avait accusé un important retard malgré quelques progrès. ‎ L'autoroute a offert des avantages indéniablement importants à la population de Dakar mais les personnes les plus directement affectées par sa construction connaissaient encore des difficultés. ‎ RÉFLEXIONS ‎ Premier projet de ce type au Sénégal, l'autoroute à péage Dakar-Diamniadio était une expérience riche d'enseignements, notamment pour l'Agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux (APIX), coordinatrice du projet. D'après Didier Payerne, directeur des opérations chez SENAC - la société privée impliquée - le partenariat s'est renforcé à mesure que l'APIX acquérait de l'expérience : « J'avais l'habitude de dire que notre projet était un modèle, mais ce n'est pas un modèle financier, ce n'est pas un modèle technique, c'est un modèle de partenariat. Parce que ce qui a réellement fonctionné ici, c'est le partenariat avec le public et le privé, avec l'APIX et avec Eiffage. Nous ne sommes pas toujours d'accord [...] mais au bout du compte, nous obtenons une collaboration parfaitement intégrée. »‎ Bien que l'APIX ait développé ses capacités managériales au fil du temps, Abdou Diaw, responsable du partenariat pour l'agence, a affirmé qu'il restait encore des choses à améliorer et que le Sénégal devait continuer à s'inspirer des meilleures pratiques du monde entier. « Nous manquons encore d'expertise au Sénégal », a-t-il conclu.‎ Alors que le partenariat s'oriente vers la phase d'exploitation, Abdou Diaw a considéré que le suivi du projet demeure un défi permanent. « Nous avons le droit d'exiger pratiquement n'importe quelle information, à tout moment, [...] [et] le contrat est suffisamment clair pour nous permettre ce suivi », a-t-il expliqué, mais il a précisé que l'APIX aurait besoin de développer de meilleurs outils pour analyser et vérifier l'information. « La question est de pouvoir prouver, par exemple, que l'éclairage public ne fonctionnait pas jeudi soir, entre 23 h et minuit », comme l'exige le contrat, ce qui permettrait à l'agence de réclamer le paiement de pénalités si nécessaire.‎ L'apprentissage et l'adaptation sont des questions particulièrement pertinentes sur la question de réinstallation, a dit Babacar Diouf, le directeur de l'environnement et de la libération des emprises de l'APIX. « [Ce] sont des questions très difficiles, et ce ne sont pas des questions que l'on aborde à l'école ou à l'université. Nous apprenons sur le tas », a-t-il estimé.‎ La direction a été essentielle où l'APIX était confrontée aux défis du projet. L'exécution du premier partenariat public-privé pour une autoroute au Sénégal a été un long processus. « L'enjeu principal est de savoir gérer la pression politique en termes de délais », a affirmé Diaw. Il a assuré qu'Aminata Niane, directrice générale de l'APIX depuis sa création jusqu'à 2012, « a été capable de gérer cette pression. » Dia a rappelé « Elle pouvait communiquer clairement : "Si vous voulez que je fasse telle chose dans le projet, j'ai besoin de le faire proprement, j'ai besoin de prendre le temps de poser un cadre, de prendre le temps de réaliser les bonnes études, de prendre le temps de comparer les meilleures pratiques, de prendre le temps d'embaucher les bonnes personnes."» Il a ajouté, « Voilà pourquoi cela a pris si longtemps, mais nous l'avons fait proprement. »‎ Pour Niane « notre grande force était que nous rapportions directement au Président et qu'il nous soutenait ». Ce fort soutien présidentiel - tant vis-à-vis du projet que de la direction assurée par l'APIX - lui a permis de consolider les coopérations dont elle avait besoin avec les autres agences gouvernementales. ‎ En dépit de la détermination de l'APIX de « le faire proprement », le processus de réinstallation a mis en lumière les axes d'amélioration possibles. En tant que responsable de la communauté, Daoud Mamadou Gueye a insisté : « Ce n'est pas que [les habitants] étaient opposés au projet. » D'après lui, les membres de la communauté reconnaissaient l'utilité de l'autoroute, car « Dakar suffoquait ; la circulation ne se faisait pas comme elle l'aurait dû ». Les retards dans la mise en service du site d'accueil ont cependant entraîné de lourdes répercussions. ‎ ‎ « Si le site avait été prêt, cela aurait bien mieux pour nous », a déclaré Yacine Lo, un habitant de Pikine. « Si les terrains avaient été disponibles, nous aurions construit nos maisons, mais puisqu'il n'y avait pas de terrain, nous avons dû nous déplacer et acheter ailleurs ». Même pour des personnes réinstallées à Tivaouane Peulh, comme Fama Sylla, le manque d'engouement a également constitué un frein pour les moyens de subsistance et pour la vie sociale. « En réalité, les promesses n'ont pas été intégralement respectées », a-t-elle dit.‎ Malgré ces défis, les partenaires de l'APIX ont convenu de l'intérêt d'une agence gouvernementale spécifiquement dédiée à la coordination du processus. « Le Sénégal a eu cette idée innovante il y a dix ans environ - une excellente idée - et c'est une idée que j'essaie de propager dans d'autres pays. Ils ont créé une agence spéciale pour coordonner le contrat de la concession [...]. Vous avez besoin de tellement de compétences, techniques, financières, juridiques, et ils ont eu cette excellente idée de [les] rassembler au sein d'une seule et même agence », a déclaré Payerne.‎ ‎ « L'APIX représente un formidable atout », a conclu Marieme Lo, responsable des projets de développement urbain et des transports à l'Agence française de développement. « On voit tout de suite la différence - on peut compter sur eux. » ‎ Innovations for Successful Societies produit des études de cas et des publications accessibles à tous et gratuits, dans le cadre des directives des Conditions d'utilisation énumérées ci-dessous. Le référentiel Web ISS est destiné à être une banque d'idées, permettant aux praticiens et chercheurs d'évaluer les avantages et les inconvénients des différentes stratégies de réforme et les effets du contexte. ISS encourage les lecteurs à envoyer leurs commentaires, y compris à suggérer des thèmes supplémentaires et d'autres questions à analyser, des corrections et la manière dont les études de cas sont utilisées : iss@princeton.edu. ‎ Conditions d'utilisation Avant d'utiliser tout matériel téléchargé depuis le site Internet d'Innovations for Successful Societies, les utilisateurs doivent lire et accepter les conditions dans lesquelles ces éléments sont mis à disposition. Les termes constituent un accord juridique entre toute personne cherchant à utiliser les informations disponibles sur successfulsocieties.princeton.edu et l'Université de Princeton.‎ Lors du téléchargement ou de toute autre utilisation de ces informations, les utilisateurs indiquent que :‎ a. Ils comprennent que les contenus téléchargés depuis le site sont protégés en vertu de la loi des États-Unis sur le droit d'auteur (Chapitre 17, United States Code).‎ ‎ b. Ils utiliseront‎ les contenus uniquement à des fins éducatives et scientifiques et pour d'autres objectifs non commerciaux. ‎ c. Aucun élément de ces informations ne sera vendu, transféré, cédé, certifié, loué, ou transmis à une tierce partie. La republication ou l'affichage‎ sur le site Internet d'un tiers doit faire l'objet d'une autorisation écrite expresse du programme Princeton University Innovations for Successful Societies ou de la Bibliothèque de l'Université de Princeton.‎ d. Ils comprennent que les citations utilisées dans l'étude de cas reflètent les points de vue personnels des personnes interrogées. Bien que tous les efforts aient été faits pour assurer l'exactitude des informations recueillies, l'Université de Princeton ne garantit pas l'exactitude, l'intégralité, l'actualité, ou d'autres caractéristiques de tout matériel disponible en ligne.‎ e. Ils reconnaissent que le contenu et/ou le format de l'archive et le site peuvent être révisés, actualisés ou modifiés régulièrement. f. Ils acceptent que l'accès et l'utilisation des archives soient faits à leurs risques et périls. Ils ne tiendront pas l'Université de Princeton responsable de toute perte ou dommage résultant de l'utilisation de l'information de l'archive. L'Université de Princeton décline toute responsabilité pour toute erreur ou omission sur le fonctionnement de l'archive.‎ g. Dans toutes les publications, présentations ou autres communications contenant ou reposant sur des informations de ces archives, ils reconnaîtront que ces informations ont été obtenues par l'intermédiaire du site Internet Innovations for Successful Societies. Notre statut (et celui de tous les contributeurs identifiés) en tant qu'auteurs de contenu doit toujours être reconnu et un crédit complet doit être mentionné comme suit :‎ Auteur(s) ou éditeur(s), s'ils sont référencés, titre complet, année de publication, Innovations for Successful Societies, Université de Princeton, http://successfulsocieties.princeton.edu/ Innovations for Successful Societies (ISS) est un programme conjoint de la Woodrow Wilson School of Public & International Affairs de l'Université de Princeton et du Centre Bobst pour la paix et la justice. La Woodrow Wilson School prépare les étudiants à des carrières dans la fonction publique et soutient la recherche scientifique sur la politique et la gouvernance. La mission du Centre Bobst pour la paix et la justice est de promouvoir la paix et la justice à travers la compréhension mutuelle et le respect de toutes les traditions ethniques et confessions religieuses, à la fois au sein des pays et au-delà des frontières nationales. ‎ Références bibliographiques 1 ONU-Habitat, L'état des villes du monde 2012-2013 : la prospérité des villes, Nairobi : ONU-Habitat, 2012 ; p. 141 http://mirror.unhabitat.org/pmss/listItemDetails.aspx?publicationID=3387 ‎ 2 Banque mondiale, Sénégal - Urban Mobility Improvement Program Project, Rapport n° ICR955, Washington, D.C. : Banque mondiale, mars 2009 ; http://documents.worldbank.org/curated/en/2009/03/10602342/senegal-urban-mobility-improvement-program-project ‎ 3 Banque mondiale, Senegal - Dakar Diamniadio Toll Highway Project, Rapport n° 43441-SN, Washington, D.C. : Banque mondiale, mai 2009 ; http://documents.worldbank.org/curated/en/2009/05/10561129/senegal-dakar-diamniadio-toll-highway-project ‎ 4 Banque mondiale, Senegal - Urban Mobility Improvement Program Project, Rapport n° ICR955, Washington, D.C. : Banque mondiale, mars 2009 ; http://documents.worldbank.org/curated/en/2009/03/10602342/senegal-urban-mobility-improvement-program-project ‎ 5 Dominique Ndong, « Autoroute à péage Dakar-Diamniadio : Premier projet PPP au Sénégal dans le domaine des Infrastructures », présenté lors du Forum Transport de la Banque africaine de développement à Abidjan (Côte d'Ivoire), en novembre 2015 http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Events/ATFforum/AfDB_-_ATF2015_-_DOMINIQUE_NDONG_-_NS.pdf ‎ 6 Salim Rouhana, Paolo Avner et Dina Ranarifidy, Dakar : Une métropole en mutation face à des défis structurels, Washington, D.C. : Banque mondiale, 2015 ; p. 19‎ 7 C. B. B. Guerreiro, Herdis Laupsa et Bjarne Sivertsen, "Ambient PM10 and PM2.5 Measurements in Dakar, Senegal", Kjeller, Norvège : Institut norvégien de recherche sur l'air, http://portal.vinca.rs/webiopatr/1st-workshop/abstracts/107-108.pdf ‎ 8 Banque mondiale, Senegal - Dakar Diamniadio Toll Highway Project, Rapport n° 43441-SN, Washington, D.C. : Banque mondiale, mai 2009 ; http://documents.worldbank.org/curated/en/2009/05/10561129/senegal-dakar-diamniadio-toll-highway-project 9 Transparency International, "Bribe Payers Index" 2011, 2008, 2002 et 1999. ‎ 10 Jacques Quensière et Alain Retière, éditeurs, Plan Climat Territorial Intégré de la Région de Dakar, 2013 http://www.pctidakar.org/wp-content/uploads/2013/09/Etude-de-vuln%C3%A9rabilit%C3%A9-de-la-r%C3%A9gion-de-Dakar-face-au-CC.pdf ‎ 11 Peter Brocklebank, Private Sector Involvement in Road Financing, Document de travail SSATP n° 102, Programme de politiques de transport en Afrique, décembre 2014 http://www.ssatp.org/sites/ssatp/files/publications/SSATPWP102-PPP.pdf ‎ 12 Peter Brocklebank, Private Sector Involvement in Road Financing, Document de travail SSATP n° 102, Programme de politiques de transport en Afrique, décembre 2014 http://www.ssatp.org/sites/ssatp/files/publications/SSATPWP102-PPP.pdf 13 « La Banque mondiale reconnaît des failles dans les politiques de réinstallation et annonce un plan d'action pour y remédier », Washington, D.C. : Banque mondiale, mars 2015‎ ‎ http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2015/03/04/world-bank-shortcomings-resettlement-projects-plan-fix-problems et Sasha Chavkin, Ben Hallman, Michael Hudson, Cécile Schilis-Gallego et Shane Shifflett, « Quand la Banque mondiale trahit les pauvres » Huffington Post et le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), 15 avril 2015, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/21/quand-la-banque-mondiale-trahit-les-pauvres_4620042_3212.html** mettre le lien en commentaire** ‎ 14 Banque mondiale, Senegal - Dakar Diamniadio Toll Highway Project : restructuring, Washington D.C. ; Banque mondiale, mai 2013. http://documents.worldbank.org/curated/en/2013/05/17747054/senegal-dakar-diamniadio-toll-highway-project-restructuring 15 Banque mondiale, Senegal - Dakar Diamniadio Toll Highway Project, Rapport n° 43441-SN, Washington D.C. : Banque mondiale, mai 2009 ; http://documents.worldbank.org/curated/en/2009/05/10561129/senegal-dakar-diamniadio-toll-highway-project 16 Fabio Galli, Senegal - Dakar Diamniadio Toll Highway : P087304 - Implementation Status Results Report : Sequence 12. Washington, D.C. : Groupe Banque mondiale, décembre 2015. http://documents.worldbank.org/curated/en/2015/12/25670803/senegal-dakar-diamniadio-toll-highway-p087304-implementation-status-results-report-sequence-12 ‎ 17 Seydina Oumar Touré, « Autoroute à péage de Dakar : Une concession à la coloniale », tambacounda.info, 15 octobre 2015‎ ‎ http://www.tambacounda.info/2015/10/15/autoroute-a-peage-de-dakar-une-concession-a-la-coloniale-seydina-oumar-toure-2/ ‎ 18 Alain Bloch, "Motorway of the Future: Preliminary Assessment of the Project's Execution," SETEC International, 2015. ‎ 19 Mohamed Gueye, « Dakar-Diamniadio, Autoroute à Pillage ? », Seneplus, 7 décembre 2013 http://www.seneplus.com/article/dakar-diamniadio-autoroute-%C3%A0-pillage ‎ 20 Laurence Carter, "​Five secrets of success of Sub-Saharan Africa's first road PPP," Public-Private Partnerships Blog, Washington, D.C. *: Banque mondiale, mai 2015 http://blogs.worldbank.org/ppps/five-secrets-success-sub-saharan-africa-s-first-road-ppp ‎ 21 « Inauguration de l'autoroute à péage : le Sénégal sur la voie rapide », Abidjan : Banque africaine de développement, septembre 2013 http://www.afdb.org/fr/news-and-events/article/senegal-moves-into-the-fast-lane-with-the-opening-of-its-toll-highway-12263/ ‎ 22 Fabio Galli, Senegal - Dakar Diamniadio Toll Highway : P087304 - Implementation Status Results Report : Sequence 12. Washington, D.C. : Groupe Banque mondiale, décembre 2015. http://documents.worldbank.org/curated/en/2015/12/25670803/senegal-dakar-diamniadio-toll-highway-p087304-implementation-status-results-report-sequence-12 --------------- ---------------------------------------- --------------- ---------------------------------------- 1 2 ‎(c) 2012, membres du conseil d'administration de l'Université Princeton Les Conditions d'utilisation et formats des citations apparaissent à la fin du présent document et à l'adresse : www.princeton.edu/successfulsocieties ISS est un programme conjoint de la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs et du Centre Bobst pour la Paix et la Justice : successfulsocieties.princeton.edu. ISS invite ses lecteurs à partager commentaires et informations sur l'utilisation de ces cas : iss@princeton.edu. (c) 2016, Conseil d'Administration de l'Université Princeton Maya Gainer, Stefanie Chan Innovations for Successful Societies 1 ‎(c) 2016, Conseil d'Administration de l'Université Princeton ‎ Conditions d'utilisation et les règles de citation sont à la fin de ce document et sur successfulsocieties.princeton.edu/about/terms-conditions.‎ ‎ 2 Rushda Majeed Innovations for Successful Societies Innovations for Successful Societies 1 18 ‎(c) 2011, membres du conseil d'administration de l'Université Princeton ‎